Dans un livre paru en 2010 et traduit récemment en français sous le titre Utopies réelles, Erik Olin Wright, tente de redéfinir la question du changement social au XXIe siècle. Son projet vise à réarmer scientifiquement la critique après l’échec du socialisme réel et d’apporter une réponse à la chute du mur de Berlin, fruit de 20 ans de réflexions muries depuis le camp du post-marxisme et du marxisme analytique.
Aux yeux de Wright, une condition essentielle du changement social est la construction, ici et maintenant, d’utopies en acte qui, en donnant à voir leur efficacité, contribuent à réarmer le camp des radicaux, trop souvent déprimés par l’échec de leurs mobilisations.
La vie des idées en propose un compte-rendu fort intéressant. Ce dernier s’intéresse notamment aux pages consacrées par Wright à l’analyse des conditions sociales de réussite de 4 utopies qui lui paraissent particulièrement prometteuses : Wikipedia, le budget participatif de Porto Alegre, le revenu universel et les coopératives de travailleurs (et en particulier la plus célèbre d’entre elles, celle de Mondragon au Pays basque). Il voit dans ces expériences le ferment d’un autre modèle économique et social, où les principales décisions sont prises collectivement plutôt que par le marché à des fins d’accroissement de la rentabilité. Wright veut en effet inverser la tendance d’un contrôle de l’économie sur les principales décisions politiques et sociales, la société pouvant regagner du pouvoir via ces différents mécanismes. Ces dispositifs de renforcement du pouvoir d’agir social représentent pour Wright une forme radicale d’empowerment [Voir Carole Biewener, Marie-Hélène Bacqué, L’empowerment. Une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, 2013.]. Tout l’enjeu des développements qu’il consacre à ces expériences est de déterminer si celles-ci sont désirables, viables et faisables.
Le compte-rendu : La vie rêvée des sociétés | La vie des idées.
L’ouvrage : Erik Olin Wright, Utopies réelles, trad. V. Farnea et J. A. Peschanski, Paris, La Découverte, 2017, 624 p., 28 €.
Alabama: Trump mis à l'épreuve après un cinglant revers électoral
USA Today n’y va pas avec le dos de la cuillère (et ce n’est généralement pas son genre):
«Un président qui traite pratiquement la sénatrice Kisten Gillibrand de pute n’est même pas digne de nettoyer les toilettes de la bibliothèque présidentielle d’Obama ou de cirer les chaussures de George W. Bush».
Conseil fédéral – élection d’Ignazio Cassis – les gagnants et les perdants
Ce matin, dès le 2ème tour, le favori Ignazio Cassis a été élu au Conseil fédéral en remplacement de Didier Burkhalter, démissionnaire. Petit tour d’horizon personnel des gagnants et des perdants de cette élection.
Les gagnants
En premier lieu, et bien évidemment, Ignazio Cassis s’est imposé après seulement deux tours. Il était depuis le début le favori, un statut qui n’est pas forcément une position enviable dans une telle élection en Suisse. Sa stratégie a consisté à ne prendre aucun risque. C’était aux deux autres prétendants à prendre des risques pour le déstabiliser. Pierre Maudet partait de trop loin pour rendre la chose possible. Isabelle Moret n’a jamais su le faire.
En second lieu, le PLR tessinois, et avec lui le canton du Tessin. La stratégie du PLR tessinois de présenter un seul candidat.e a été critiquée, à juste titre concernant la question de la représentation féminine au Conseil fédéral, mais les gagnants ont toujours raison.
En troisième lieu, la droite du parlement fédéral a, cette fois-ci, traduit le résultat des élections fédérales de 2015 dans les faits. Ce n’est évidemment pas une satisfaction me concernant, mais c’est ainsi. Si ce prochain dimanche la prévoyance vieillesse était refusée, le triomphe sera complet et l’opposition de gauche à la réforme aura véritablement joué le rôle de l’idiot utile en faveur de cette droite de régression sociale.
On ne manquera pas de s’en rendre compte rapidement dans la reprise du dossier des retraites au niveau fédéral. Les lendemains ne manqueront pas d’être difficiles.
En quatrième lieu, dans les vainqueurs, je citerai les lobbys de tout poil qui pullulent au Parlement. Lobbyiste incontestable et très assumé 1, Ignazio Cassis donne des ailes aux lobbyistes du Parlement fédéral et pour ceux à venir.
Enfin, je citerai Pierre Maudet. Certes il n’a pas été élu, mais il partait de très très loin. Sa campagne n’en a pas moins été étonnante. Il a su mettre en avant ses qualités et développer des propositions et une vision claire pour la Suisse. Il a su également s’entourer d’une équipe de campagne très efficace. Il s’est imposé comme le candidat de l’ouverture et du devenir suisse 2. Il n’a aucune raison de rougir de son score. Bien au contraire.
Les perdants
En premier lieu, pour moi, les femmes sont clairement les grandes perdantes de cette élection. Le score d’Isabelle Moret est une gifle pour toutes les femmes. L’écart d’Isabelle Moret avec Pierre Maudet (28 voix ”contre” 90 voix) est abyssal. C’est probablement aussi le résultat de l’absence d’une véritable politique de promotion des candidatures féminines à droite et de leur faible représentativité aux Chambres fédérales. Cette faiblesse est éclairante du fait que, parmi les parlementaires fédérales latines, le seul nom cité a été celui d’Isabelle Moret. Cette absence de candidatures potentielles de qualité a notamment permis à Pierre Maudet de se lancer dans la course et à Ignazio Cassis de rester constamment dans sa zone de confort.
J’ajoute que les attaques à propos de la situation privée d’Isabelle Moret ainsi que les propos entendus notamment de la part d’Ueli Maurer sur la Télévision suisse romande, indiquant que la place d’une mère de famille avec de jeunes enfants est à la maison et non au Conseil fédéral font régresser de quarante ans la condition des femmes non seulement en politique, mais également dans la société en général. Là aussi, le discours sur la nécessaire cohésion nationale s’apparente à un inquiétant retour en arrière.
Découlant des propos ci-dessus, Isabelle Moret est la seconde grande perdante de l’élection. Sa campagne n’a jamais décollé en raison des ses atermoiements constants. Elle en paie le prix fort avec un score comparativement très faible face à celui de Pierre Maudet alors qu’elle se devait de faire jeu égal avec Ignazio Cassis. La suite de sa carrière politique s’annonce délicate, car, avec dans deux ans l’élection plus que probable de Jacqueline de Quattro au Conseil national, son score et sa campagne ratée offre un boulevard à Christelle Luisier dans la course au Conseil d’Etat vaudois. Parlementaire de longue date, ayant déjà échoué pour accéder au Conseil des États en 2011, même sa réélection au Conseil national pourrait s’avérer délicate.
En dernier lieu, l’ouverture de la Suisse sur l’avenir et le monde a pris un nouveau coup sur la carafe. Contrairement à l’élection de Guy Parmelin, le Parti socialiste n’a pas su ou pu tirer son épingle du jeu pour rendre cette ouverture possible sur le monde. Pour qu’un véritable espoir puisse être possible, il aurait fallu que ce soit Isabelle Moret, et non Pierre Maudet3, qui l’incarne. Cependant, même si cela avait le cas, seule l’issue aurait été probablement plus incertaine et l’écart encore plus serré. Un score plus serré aurait mis en évidence non pas une trompeuse cohésion nationale, mais bien plutôt deux Suisses. C’est sur un tel constat que la recherche d’une véritable cohésion nationale serait rendue possible. A la place, on aura un discours mantra sur la cohésion nationale, vide de mesures réellement concrètes pour la rendre effective.
A cette lumière et à nouveau, le vote de dimanche prochain donnera des indications significatives sur la recherche ou non de solutions réelles de compromis. Ces solutions sont à la base depuis quatre-vingt ans avec la Paix du travail de toute avancée dans le sens d’une amélioration de notre cohésion nationale et au bénéfice du plus grand nombre d’habitant.e.s de ce pays.
- Contrairement à Isabelle Moret qui n’a cessé de louvoyer avec cette question-là, comme avec celle de la représentation féminine. ↩︎
- Ignazio Cassis a passé comme le candidat de la cohésion nationale, mais il faut admettre que dans le contexte actuel, cette recherche d’une cohésion nationale s’apparente à un énorme repli sur soi.
En outre, le profil d’Ignazio Cassis est celui d’une tendance extrêmement libérale, voire ultralibérale, pour la Suisse. Cette tendance ne coïncidera pas forcément dans les faits avec la recherche de cette cohésion nationale invoquée comme un mantra durant la campagne, mais jamais confrontée aux positions exprimées par le candidat. Il y a là clairement un hiatus. A moins qu’Ignazio Cassis endosse, à la suite de son élection, le costume de l’homme d’Etat. ↩︎ - Merci néanmoins à ce dernier d’avoir développé un discours, une vision et des propositions tournés vers l’avenir et l’extérieur. Son score laisse une marge d’espoir pour la suite. ↩︎
Le nouveau jeu de l’été : Où est Donald ?
Dessin de Kichka paru dans i24News, Tel Aviv.
D. Trump président de l’ère de la TV réalité
Christophe Lachnitt est un spécialiste de la communication. Il est également passionné par les Etats-Unis, les nouvelles technologies et la politique. Son blog Superception couvre trois univers : la communication, le marketing et le management. Dans un billet daté de février 2017, il revenait sur sa conviction, formulée au lendemain de l’élection du miliardaire, que le moteur de la communication de D. Trump était la télé-réalité. Le drame de Charlottesville l’amène à réévaluer cette stratégie de communication, ses limites révélées et la résilience démocratique de la Société américaine face au Président.
Dans son billet, Le vrai moteur de la communication de Donald Trump n’est pas Twitter, après avoir rappelé ce qu’il avait écrit au lendemant de l’élection du miliardaire.
“De même que Franklin D. Roosevelt avait été le candidat de la radio, John F. Kennedy celui de la télévision et Barack Obama celui des réseaux sociaux, Donald Trump a été le candidat de la télé-réalité dont il maîtrise et exploite les codes narratifs.“
Il présentait en quoi la télé-réalité se distingue de la télévision traditionnelle en pervertissant quatre de ses fondamentaux.
Elle dénature :
- Le besoin de divertissement en addiction au voyeurisme.
- La présentation de la complexité de la nature humaine en réduction de chaque individu à un ou deux stéréotypes simplistes.
- Le goût du public pour la compétition en encouragement à la violence symbolique et glorification des “méchants”.
- Les téléspectateurs en télé-acteurs ayant parfois droit de vie ou de mort médiatique, par leurs votes, sur les participants à ces émissions.
Après avoir développé les quatre points, Christophe Lachnitt expliquait pourquoi cette stratégie est parfaitement adaptée à la dissolution du paysage médiatique et la cristallisation de la défiance démocratique dont souffre aujourd’hui l’Amérique.
Si le constat sur la désintermédiation associée au premier phénomène est bien connu, le “Trust Barometer” annuel récemment publié par Edelman révèle des données alarmantes sur le second :
- une minorité d’Américains font confiance au gouvernement (37%) et aux médias (35%) ;
- une majorité d’Américains (57%) estiment que le système politique et économique ne fonctionne pas ;
- Trump a remporté la majorité des suffrages des Américains dont les inquiétudes et déceptions s’expriment désormais par un sentiment de peur.
Après le drame de Charlottesville, Christophe Lachnitt est revenu sur la stratégie de D. Trump (Face à Donald Trump, la Société américaine teste sa résilience démocratique). Pour lui, jusque-là sa stratégie « avait relativement réussi, au sens où les médias d’information sérieux n’avaient pas révélé la vraie nature du candidat puis Président républicain malgré ses dérapages à répétition. »
Il ajoute en outre que les médias étaient enfermés dans un triple piège. Le premier est «celui de leur propre déontologie et d’une objectivité journalistique aussi idéalisée que chimérique qui les porte à présenter de manière équilibrée les deux parties en présence ».
Cependant, avec ses propos après Charlottesvile, D. Trump semble, pour Ch. Lachnitt, avoir touché aux limites de sa stratégie :
Mais, en s’attaquant cette semaine au tabou ultime des Etats-Unis, les relations inter-ethniques, le Président semble avoir touché la limite de sa stratégie : sa propre confusion mentale et morale pourrait finir par prévaloir sur la confusion qu’il a voulu instiller dans les esprits américains.
Durant deux ans, il a testé l’élasticité des valeurs de la démocratie américaine et celles-ci ont démontré leur souplesse… ou leur manque de structure quand il s’est agi du respect des handicapés, des musulmans, des latinos-américains ou de la concorde politique. Les relations inter-ethniques, elles, revêtent une toute autre importance symbolique : elles fondent la Société américaine du melting pot tout en menaçant en permanence son équilibre.
Ce faisant Donald Trump met la Nation au pied du mur de sa prise de conscience politique et morale à son endroit.
Dès lors la question que se pose Ch. Lachnitt en conclusion de son article est la suivante :
En définitive, cette crise sans précédent ne nous apprend rien sur Donald Trump dont il suffisait de suivre la campagne (ou de lire Superception) pour connaître la vraie nature. Mais elle va nous apprendre beaucoup sur l’Amérique et sa capacité à préserver son idéal démocratique et, plus prosaïquement, ses intérêts politiques. C’est dans les difficultés que les nations, comme les individus, se révèlent. L’heure de vérité est arrivée.
D’autant que pour Lachnitt,
aujourd’hui, les Etats-Unis n’ont pas de grande figure morale, dans les univers politique, médiatique ou culturel, susceptible de mettre les dirigeants, au premier rang desquels ceux du Parti républicain, face à leurs responsabilités.
Il appartient donc à la société civile de faire le job.