Quand on s’invite chez la philosophe Elisabeth Badinter pour parler du port de la burqa, elle répond: «Je vous attends de pied ferme.» Depuis la première polémique en France sur le voile à l’école en 1989, la défenseuse de l’égalité et de la laïcité n’a jamais baissé pavillon. Il y a quatre ans, elle signait dans la presse une petite chronique incendiaire à l’adresse des femmes qui portent volontairement la burqa: «Sommes-nous à ce point méprisables et impurs à vos yeux pour que vous nous refusiez tout contact…?» Un texte qui fait encore le buzz aujourd’hui en France où malgré les lois, rien n’est réglé. Extrait de l’interview du Matin.
Vous insistez sur le fait que le vêtement crée une inégalité entre les hommes et les femmes. C’est pour cela que ça énerve tant la féministe que vous êtes?
C’est la raison qui m’a fait monter au créneau quand on a vu les premières burqas en Afghanistan, en effet. La femme est immédiatement désignée comme la source du péché de l’homme: cache ton visage pour ne pas me provoquer! C’est totalement inégal. Cela me fait penser à l’interdiction de la prostitution: les femmes deviennent responsables du péché des hommes. Il n’y a plus du tout d’équilibre entre les sexes. C’est la rupture absolue du chemin vers l’égalité auquel, nous, dans notre culture, nous tendons.
Si vous êtes aussi virulente dans ce combat contre la burqa, est-ce parce qu’il est au carrefour de deux de vos convictions: l’égalité entre hommes et femmes et la laïcité?
Parfaitement. Je double ma virulence.
Lequel de ces deux combats vous tient-il le plus à cœur?
Question difficile. La laïcité, je crois. Enfin: je trouve que le combat pour les femmes a bien avancé en trente ans. Il y a encore à faire, mais j’ai confiance. On va vers le mieux. Tandis qu’avec la laïcité, on va vers le pire. Je crois que les deux sont liés. Il faut une société laïque pour que les femmes puissent conquérir toutes leurs libertés et l’égalité avec les hommes. C’est peut-être parce que ce combat pour la laïcité me semble, je ne vais pas vous dire perdu, mais en grand danger que je suis si en colère sur cette affaire. Et tout ça, en plus, et ça me déchire, avec la participation active de la gauche, voire de l’extrême gauche.
L’interview intégral : Elisabeth Badinter: «La burqa procure un sentiment de jouissance» | LeMatin.ch
Image : Sébastien Anex
14.08.2016 : Complément la position de Pierre-Yves Maillard relativement à l’initiative de l’UDC sur l’interdiction de la burqa. Une position que je partage :
Je ne serai pas de ceux qui combattront cette initiative. Le Parlement ferait d’ailleurs mieux de régler la question et d’éviter ainsi une votation dont le résultat ne fait pas beaucoup de doute. Au-delà de cette question quand même anecdotique se joue autre chose. La gauche se voit sou vent comme une alternative à notre société. La droite, elle aussi, ne la défend plus. Elle la critique comme trop sociale et veut plus de marché, moins de protection. Il ne reste pas grand monde pour défendre nos sociétés telles qu’elles sont aujourd’hui. Quand elles ne sont pas attaquées, ce n’est pas trop grave. Mais, quand c’est le cas, il faut que les grandes forces s’unissent pour défendre l’essentiel. Or il y a une partie de la population qui peut témoigner que notre société mérite d’être défendue contre le retour en arrière. Ce sont les femmes. Il faut interroger nos mères ou nos grands-mères sur l’interdiction de porter le pantalon, d’aller à la même école que les garçons, de faire des études, de signer un contrat, de voter… Elles ont connu ça! Il y a beaucoup de choses bien qui ont été faites dans nos démocraties. A commencer par les libertés des femmes et des corps. Alors ne transigeons pas trop avec ça. Ces conquêtes sont fragiles, car rien n’est mieux toléré que l’oppression des femmes. Si ce qu’elles subissent dans certains pays touchait des groupes de population mixtes, l’ONU et les meilleures consciences du monde se seraient déjà soulevées…