Avec Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, Salman Rushdie s’empare d’un récit fantastique et l’entraîne vers une fable politique, interrogeant notre civilisation partagée entre la rationalité et les déviances pseudo-religieuses. Rencontre à New York.
Vous écrivez que c’est la peur et l’envie qui poussent les hommes à se tourner vers la religion. Que pensez-vous de la résurgence du religieux aujourd’hui ?
C’est l’une des plus grandes surprises de ma vie. Quand j’étais étudiant à Cambridge dans les années 1960, personne n’y pensait. Le marxisme, le féminisme, le Vietnam, la marijuana étaient des sujets de conversation, mais pas la religion. Bref, on pensait que la religion s’était retirée de la vie publique, et j’ai vraiment cru que j’allais grandir dans ce monde-là.
Le retour de la religion a à voir avec des choses différentes : ce qui arrive en Iran n’est pas la même chose que ce qui arrive en Arabie Saoudite ou au Pakistan, même si c’est lié. C’est en partie dû à la géopolitique. On peut se demander : et si l’Occident n’avait pas destitué le shah, aurait-on eu Khomeiny ? Et si Blair et Bush n’avaient pas menti au sujet des armes en Irak, et s’ils ne nous avaient pas amenés à faire une guerre qui dure encore ?
Sauf que ça ne sert à rien de s’interroger sur ce qui n’a pas existé. Dans la vraie vie, j’évite ce genre de questions. Mais dans mon livre, notre époque devient le “temps des étrangetés”, car c’est exactement ce nous traversons : le monde devient étrange pour nombre d’entre nous. Il change non seulement très vite, mais aussi radicalement.
…
Dans votre livre, vous rappelez que l’islam peut produire de très belles choses, comme des contes, mais aussi de la philosophie…
Je ne suis pas un fan de religion, à commencer par l’islam, et j’ai de bonnes raisons pour cela. Si j’ai mis en scène le personnage d’Ibn Rushd, qui deviendra le philosophe Averroès, c’est parce qu’il aura plus d’influence pour l’Occident que pour l’islam.
Il s’est toujours défini comme croyant et pratiquant, mais c’était un esprit éclairé, qui a essayé, il y a plus de huit siècles, d’y intégrer les idées d’Aristote, c’est-à-dire du rationnel, de la raison. Mais ce qui s’est produit au XIIe siècle, c’est que l’interprétation obscure, régressive de l’islam a triomphé d’une autre, progressiste. Je pense que ça commence vraiment là.
Source : Les Inrocks – Salman Rushdie : “Je ne veux plus être l’écrivain à la fatwa”
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