En 2002, sur le site de la Fédération syndicale vaudoise SUD Service Public, je publiais un article ((EVM arrêt sur image)) pour faire le point sur la mise en oeuvre de la réforme EVM. Revenant sur la réforme précédente de 1984, j’indiquais que
Le point essentiel de la réforme de 1984, outre la suppression de l’examen du collège, réside dans la fin de l’apartheid scolaire qui prévalait alors et qui séparait -non seulement en voies, mais également en établissements- d’abord « l’élite » (les collégiens) du reste de la population scolaire, puis les contremaîtres (les « sup ») des ouvriers (les primaires).
Je précisais, en outre, concernant le corps enseignant secondaire que
De nombreux maîtres d’ailleurs n’ont toujours pas intégré, vingt ans après, cette nouvelle donne et regrettent qui le collège, qui le primaire, qui la « sup ».
Aujourd’hui, près de trente ans après, fondamentalement, les initiants de l’initiative «Ecole 2010» veulent en revenir à cette école d’avant 1984. Preuve en est, leur volonté au secondaire de séparer les élèves des trois voies dans des bâtiments distincts. On retrouve à leurs côtés tous ceux qui n’ont pas digéré avec la réforme de 1984 ((donc avant la réforme EVM)) la fin de la sélection précoce ou la réunion de tous les élèves au sein d’un même ordre scolaire.
Pour ces enseignants et leurs soutiens, en filigrane se dessine, avant 1984, l’idée d’un âge d’or scolaire. Un temps béni où tout le monde aurait été à sa place et la trouvait dans la société en fonction de son ordre scolaire. Un temps où les enseignants auraient été respectés de tous. Un temps où le maître aurait été le seul détenteur du savoir.
Or, tout le monde le sait ou devrait le savoir, tout âge d’or est un mythe :
Autrefois, il fut un temps où
Il n’y avait pas de serpent,
Il n’y avait pas de scorpion,
Il n’y avait pas d’hyène,
Il n’y avait pas de lion,
Il n’y avait pas de chien sauvage ni de loup,
Il n’y avait pas de peur ni de terreur :
L’homme n’avait pas de rival.
(S. N. Kramer, L’Histoire commence à Sumer)
Comme l’indiquait Jacques Lacarrière ((En suivant les dieux, Philippe Lebaud Éditeur, 1984)) à propos de ces lignes sur Sumer:
Je crois ces quelques lignes fort instructives car elles nous plongent au cœur des problèmes et des terreurs qui hantaient l’homme sumérien : son rêve, son âge d’or, c’est la sécurité.
Concernant l’époque contemporaine, Raoul Girardet a également indiqué les contours de ces constructions d’âge d’or ((Mythes et mythologies politiques)) :
La crainte liée à la perte de ces refuges, ajoutée aux nostalgies individuelles (souhait du retour à l’enfance), vient nourrir le mythe de l’âge d’or, à chaque fois que les accélérations du progrès viennent menacer les équilibres anciens.
Or, en observant l’histoire du 20e siècle, si un tel âge d’or a existé, il a été fort bref. De 1914 à 1945, le continent européen a été agité de nombreux soubresauts et a failli même disparaître. Depuis la crise économique de 1973-1974, nous ne cessons de connaître différentes crises ou phases de cette crise initiée en 1973-1974. Le système économique s’est profondément modifié dès la fin des années 1970 et comme je le soulignai alors en 2002
Dans les années quatre-vingt-dix, les mutations économiques et politiques ont encore fragilisé l’ensemble du système éducatif vaudois. Ce mutations se sont ainsi ajoutées aux problèmes d’identité professionnelle des enseignants et à la situation de l’ensemble de la population.
D’une part, les mutations économiques ont définitivement destabilisé les filières scolaires du secondaire. Ces dernières étaient légitimées par les débouchés qui s’offraient à leurs élèves. Ceci y compris dans les représentations et les attentes des élèves de prégymnasiales. Ainsi, le chômage des universitaires, mis en avant par les médias, résonnait jusque chez des élèves latinistes ou scientifiques : le papier, la licence n’était plus le sésame de l’insertion professionnelle et sociale.
Bien sûr, les conséquences de la crise n’étaient pas comparables d’une section à l’autre, mais la crise économique débouchait néanmoins sur une crise de confiance dans le dispositif éducatif.
Or, vouloir revenir à l’école d’avant 1984 en espérant résoudre ces mutations structurelles fondamentales est un leurre.
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