Suffit-il de deux répliques et d’une coupe de cheveu à la Bernard Thibault de Gérard Depardieu pour que l’adaptation cinématographique d’une pièce de boulevard soit hissée au rang de critique sociale de l’hyperprésident Nicolas S. et permette de dresser un tableau de comparaison entre celui-ci et la présidence de Valéry Giscard d’Estaing?
Dans Potiche de François Ozon, actuellement en salles, Fabrice Luchini incarne un patron giscardien —le film se déroule en 1978— qui, séquestré par ses ouvriers, lance un «Casse-toi pov’ con» très sarkozyen. Pour sa part, Gérard Depardieu, interprète un député-maire communiste et ancien amant de Catherine Deneuve, la femme de Fabrice Luchini. Il a la coupe de Bernard Thibault le secrétaire général de la CGT:
Gérard Depardieu dans «Potiche» de François Ozon
Le «modèle» Bernard Thibault, secrétaire de la CGT
Dans ses interviews, le réalisateur François Ozon ne cache pas sa volonté d’entrechoquer les années Giscard avec l’actualité récente et notamment lorsqu’on l’interroge sur l’origine de son film:
L’élément déclencheur a été ma rencontre avec les producteurs Eric et Nicolas Altmayer. Ils voulaient faire un film sur Nicolas Sarkozy. Moi, je n’en avais pas vraiment envie, ou alors sur Cécilia…
Mais la fin des années soixante-dix a bien des ressemblances avec la nôtre. Il y avait de fortes tensions sociales, des séquestrations de patrons, un président, Giscard d’Estaing, qui voulait moderniser la politique. La différence, c’est que le Parti communiste était alors à 20 %… L’idée, c’était de garder un ton de comédie, avec un petit quelque chose de plus… (Cinéma François Ozon : « Une énorme violence sociale… »)
La réunion de Catherine Deneuve et Gérard Depardieu permet alors à Ozon de reformer le couple de la bourgeoise et du prolo des films de Truffaut. (Dans Le Dernier métro par exemple) Et, le rapport à l’actualité concernant la coupe de Gérard Depardieu est également assumé par François Ozon:
Objectivement, [Gérard Depardieu] m’a surpris ! Il existe vraiment dans le personnage de Babin, le député-maire PC, mais aussi un type transi d’amour, prêt à abandonner la Révolution pour un amour de jeunesse. Il a même accepté une coiffure à la Bernard Thibault. (Cinéma François Ozon : « Une énorme violence sociale… »)
A partir de ces éléments-là, pour Slate.fr, le rapprochement entre Nicolas S. et Valéry Giscard d’Estaing et les deux époques ne s’arrête pas à ce récent écho cinématographique. Et ce rapprochement donne lieu à une interrogation : Rupture, style, impopularité, affaires… Et si Nicolas Sarkozy était le nouveau Giscard? (Nicolas Sarkozy, un Giscard destin?)
Mais peut-on hisser un cinéma de boulevard au rang de critique sociale? Et François Ozon en intellectuel du dépassement du capitalisme ? Lui-même ne va pas si loin et, au final, la seule porte ouverte au changement porte sur la place des femmes dans la société:
Dans le théâtre de boulevard, on joue avec toutes les transgressions possibles – sociales, familiales, affectives, politiques – mais à la fin, tout le monde retombe toujours sur ses pattes. Les bourgeois ont envie de rire et de se faire peur, mais à condition que tout finisse par rentrer dans l’ordre. Dans mon adaptation, j’ai essayé que les choses bougent et se transforment vraiment : Suzanne trouve finalement une réelle place en tant que femme dans la société, l’ordre patriarcal est véritablement bafoué et le fils est vraisemblablement incestueux… (Entretien avec François Ozon)
De plus, certaines clés manquent au spectateur moyen pour s’engager plus loin dans la critique sociale tant du giscardisme que du sarkozysme. Pour autant également que François Ozon les ait également insérées délibérément. Ainsi à la fin du film, alors que Suzanne (Catherine Deneuve) gagne l’élection à l’Assemblée nationale au détriment du député communiste Babin (Gérard Depardieu), cette dernière entonne un « C’est beau la vie »:
« C’est beau la vie », la chanson chantée par Suzanne à la fin du film, a été écrite par Jean Ferrat dans les années 60 pour Isabelle Aubret, qui avait survécu à un grave accident de voiture. L’utiliser dans un cadre plus politique, à la fin du meeting, me semblait lui donner une autre dimension, après avoir suivi le parcours de Suzanne et son émancipation. (Entretien avec François Ozon)
Mais c’est passer à côté d’une réalité plus sombre de ces années Giscard concernant Isabelle Aubret. En effet, dans ses années-là et jusqu’à l’arrivée de François Mitterand en 1981, cette dernière est boycottée par les médias en raison de ses amitiés d’extrême-gauche:
Mais on ne la voit jamais à la télé et ses amitiés d’extrême gauche font d’elle une artiste boycottée par les médias et en particulier par les producteurs des émissions de variétés les plus populaires du moment. (Isabelle Aubret. RFI)
Quel est alors le sens de faire interpréter cette chanson par une (grande) bourgeoise qui vient juste d’être élue sous l’étiquette « indépendante de droite » en battant un élu communiste?
Pour finir, la critique sociale portée par «Potiche» en prend un sacré coup lorsque la réalité de l’automne 2010 rattrape le film. On y voit alors un Gérard Depardieu débarrassé de sa coupe syndicale et taclant, depuis Abou Dhabi dans les Emirats arabes unis où il présente le film, son «modèle»:
Ce qui se passe aujourd’hui en France est ridicule. Il s’agit d’une manipulation de la part des syndicats. (Retraites: le mouvement de protestation est « ridicule », pour Depardieu)
En 2010, le député-maire communiste Babin a viré pour le moins sarkoziste et sa marionnette se fait prendre à partie sur son scooter dans les manifestations parisiennes par des délégués syndicaux CGT. (Depardieu dans le défilé parisien… malgré lui) En ce sens, le film de François Ozon retrouve son genre: celui du théâtre de boulevard…
André Gunthert dit
politis.ch: "Potiche", comédie de boulevard ou critique sociale? http://icio.us/jjgdgl
Arnaud M. dit
politis.ch: "Potiche", comédie de boulevard ou critique sociale?: http://bit.ly/hxYCiy
Lyonel Kaufmann dit
Je publie: «Potiche» : comédie de boulevard ou critique sociale ? http://ht.ly/1a8w7H
Lyonel Kaufmann dit
Je publie: «Potiche» : comédie de boulevard ou critique sociale ? http://ht.ly/1a8w7H http://ff.im/-ugIH9
Rezo dit
« Potiche », comédie de boulevard ou critique sociale ?: Suffit-il de deux répliques et d'une coupe de cheveu à la… http://goo.gl/fb/nOZRE
Sedna Médias Libres dit
[Rezo.net] « Potiche », comédie de boulevard ou critique sociale ? http://dlvr.it/96pMB
Olivier Duquesne dit
«Potiche» : comédie de boulevard ou critique sociale ? | politis.ch http://ff.im/-uwhNR