Pour ces deux camps, ne pas être avec eux signifie être contre eux. La croisade entre le bien et le mal se décline ainsi en une intolérance qui conduit au fascisme. Très curieusement, dès que ce mot est prononcé à leur encontre, ils prennent des poses de vierges effarouchées et crient à l’injure. Leurs prédécesseurs avaient sur ce point moins de vergogne sans pour autant que l’on puisse dire que c’était tout à leur honneur!
Avant de poursuivre avec le Courrier international. une première halte s’impose auprès de Robert Paxton, très largement connu et reconnu pour ses travaux sur le fascisme et le régime de Vichy. Dans une intervention faite en 1994 dans le cadre des Conférences Marc Bloch, Paxton observe les caractéristiques suivantes du fascisme :
• un sentiment que la communauté est victime, qui justifie tout recours contre ses ennemis, intérieurs autant qu’extérieurs;
• un pressentiment de décadence de la communauté, minée par la gauche individualiste et cosmopolite;
• comme remède à cette décadence, l’encadrement de la population en un fascio, ou faisceau, où l’unité des âmes est forgée par une conviction commune, si c’est possible, et par la force si c’est nécessaire;
• un sens de l’identité où la grandeur de la communauté vient renforcer l’identité individuelle;
• l’autorité du chef, seule structure politique capable d’incarner le destin de la communauté;
• la beauté de la violence et de la volonté, quand elles sont dévouées au succès de la communauté dans une lutte darwinienne.
[Paxton (1994). Les Fascismes. Essai d’histoire comparée.]
Une autre caractéristique «remarquable» de l’islamophobie est le travail par généralisation et par négation du caractère humain des musulmans (ou des juifs auparavant). Fleurit alors la métaphore animale aboutissant in fine à l’emploi de termes tels que parasite, cafard ou vermine.
Or, il convient d’éliminer la vermine et les parasites. L’élimination via le vocabulaire précède l’élimination physique*. Le procédé est malheureusement connu ainsi, en mai 1943, Hitler déclare à Goebbels, qui le note dans son journal :
et déjà dans Mein Kampf :
Puis vient l’amalgame. Toute personne qui n’entre pas en accord avec les propos des islamophobes ne peut que défendre l’islam et donc l’islamisme par le jeu d’un CQFD de pacotille. C’est alors un pacifiste, un idiot et un sale gauchiste. A toute fin utile, je rappelerai que les premiers locataires des camps d’internement et de concentration tant de l’Italie fasciste que de l’Allemagne hitlérienne furent des militants sociaux-démocrates et communistes.
Le dernier élément constitutif consiste en la réapparition en catimini de la supériorité de la race blanche mise à mal par le multiculturalisme (terme qui a remplacé le cosmopolitisme dans le discours de ces extrémistes) et par l’anticolonialisme qualifié généralement de gauchisant.
Au final, l’islamophobie se nourrit et se développe en symétrie avec son adversaire qui est également son allié objectif : l’islamisme radical. Les deux jouent sur le registre du bien contre le mal. Les deux tiennent un discours intégriste et totalitaire où celui qui ne pense pas comme eux est de facto contre eux et devient leur ennemi. Je refuse de me faire prendre à ce jeu-là, je suis autant contre l’islamophobie que contre l’islamisme radical. Les deux sont terroristes : le premier essentiellement par la pensée tout en prônant l’élimination physique des islamistes et en allant jusqu’à demander pour certains le départ de TOUS les musulmans du monde occidental; le deuxième via les attentats que nous avons connus. Non seulement je refuse ce jeu-là, mais j’utilise à leur égard le seul qualificatif qui convient : fascisme.**
*Sur la question du vocabulaire, on lira aussi la récente chronique de Pierre Assouline dans la République des Livres : La novlangue nazie décortiquée
** Par rapport au combat antifasciste, la lecture du dernier livre d’Enzo Traverso [A feu et à sang. De la guerre civile européenne (1914-1945)] est recommandée. Relecture d’une époque qui plongea l’Europe dans le chaos, le livre de Travero récuse notamment la lecture a posteriori qui tend à faire de l’antifascisme un “mythe”. En premier lieu parce que, “en se débarrassant de l’antifascisme, on risque d’effacer le seul visage décent que l’Italie a su donner d’elle-même de 1922 à 1945, l’Allemagne de 1933 à 1945, la France de 1940 à 1944”. Par les temps qui courent, il n’est pas superflu de le rappeler.
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