Après la deuxième guerre mondiale, la Suisse a réussi à rétablir la situation en étant, après les Etats-Unis le seul pays à disposer d’assez de cash pour financer, via ce qui deviendra l’OCDE, le plan Marshall. Ce deal la plaçait, bien que neutre, très clairement du côté des Américains et dans le sillage de l’impérialisme de ce dernier. Clairement dans le camp occidental, pays sans colonies, épargnée par le conflit mondial, la Suisse servait d’utile intermédiaire ou de pays écran principalement à la politique américaine.
Dans les années 1990, la question des fonds en déshérence marquait un premier coup de semonce et un premier indice que ces relations privilégiées avec les Etats-Unis étaient remises en cause. La fin de la guerre froide n’était pas pour rien dans cette inflexion américaine.
Ce 2 avril marquera probablement la fin (définitive?) de cette idylle. Deux événements symbolisent aujourd’hui cette rupture:
– l’un anecdotique est fourni par le jugement sans appel de la Cour de New York par 6 à 0 pour le défi américain dans le conflit qui opposait Alinghi à Oracle relativement à la Coupe de l’America;
– l’autre est évidemment le placement de la Suisse sur la liste grise des paradis fiscaux établie par le G20 et l’OCDE alors que dans le même temps les îles anglo-britanniques de Jersey et Gernesey ou l’Etat américain du Delaware en réchappent.
On peut certes considérer que la Suisse sert de bouc-émissaire commode et que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne sont pas mécontentes de déstabiliser un de leurs sérieux concurrents dans ces lucratifs marchés. Ce serait néanmoins faire fi de deux éléments centraux relativement à la position de la Suisse:
– le premier met en lumière les conséquences de la politique de l’Alleingang et de la non-intégration à l’Union européenne qui fait que dans la situation actuelle il n’y avait plus personne pour défendre les intérêts de la Suisse;
– le second élément réside dans la fin de cette situation privilégiée de financier mondial qu’occupait la Suisse en 1945. Aujourd’hui, le G20 a consacré l’émergence officielle d’autres bailleurs de fonds des plans de relance notamment américain ou britannique. Ainsi en est-il de la Chine qui ce jeudi matin “par la voix de son ministère des Affaires étrangères, s’était dite prête à soutenir cet effort particulier, tout en soulignant qu’elle n’envisageait pas que ses territoires de Hong Kong et Macao soient considérés comme des paradis fiscaux.” (Le G20 annonce 1.100 milliards de dollars pour dépasser la crise, Le Point.fr) et qui a évidemment obtenu gain de cause…
Et c’est l’OCDE, l’institution qu’intégra la Suisse pour réintégrer la communauté internationale après 1945, qui est chargée d’inscrire cette dernière sur la liste grise des paradis fiscaux mis sous surveillance active.
NB: plus globalement je fais mienne la petite phrase de Jacques Attali concernant le G20 (13.03.2009): «Le G20 à Londres? Un réunion d’ex-alcooliques dans un bar à vin!»
Le G20 et la machine à fabriquer des histoires
La réunion du G20 est-elle susceptible d’apporter des réponses à la crise économique que nous traversons?
Personnellement j’en doute. Comme de la plupart des mesures prises par les différents gouvernements.
Ce que je constate, c’est que, plutôt que de s’attaquer véritablement à la question, chaque gouvernement, président, premier ministre s’essaye surtout à relancer la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits communément appelée «storytelling» [Christian Salmon (2008). Storytelling. Paris: La Découverte]. Nous sommes en plein dans l’ère de la fiction, dans un western financier où dans le rôle de la brute et le truand on trouve les paradis fiscaux, Fred Goodwin —l’ancien patron de la Royal Bank of Scotland ou les empêcheurs de secret bancaire made in Switzerland.
A chacun le sien. A chacun de trouver bouc-émissaire à son pied.
Cela suffira-t-il à détourner l’attention des différents publics nationaux? Quand est-ce que le soma cessera-t-il de faire effet?
Pourtant, rapportée à la sphère économique, il ne s’agit que de l’autre face de la même pièce jouée depuis les années 1980 et incarnée par le «storytelling». En effet, ce dernier traduit en récit depuis les années 1980 “l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme” [Boltanski et Chiapello (2000). Eve, Le Nouvel Esprit du capitalisme. Paris: Gallimard], dépasse le simple fait de raconter des histoires pour construire “un ensemble de croyance à même de susciter l’adhésion et d’orienter les flux d’émotions, bref de créer un mythe collectif contraignant” (Salmon: 102)
De même ce qui se passe devant nos yeux n’est que le remake à la puissance x de la faillite d’Enron. Il suffit de lire l’évocation faite par Salmon (p. 104 et ss):
“It’s a fabulous story…” Au printemps 2001, quelques mois avant la banqueroute retentissante d’Enron, son P-DG concluait ainsi un spot de publicité consacré à sa société. Enron était alors la septième entreprise des Etats-Unis, évaluée à presque 70 milliards de dollars, l’un des fleurons de la “nouvelle économie” […] juste avant de s’effondrer en 2001.
Selon Bethany McLean, une journaliste de Fortune qui fut une des premières à mettre en doute la solidité financière du géant Enron, cette entreprise était en fait “un château de cartes, un mirage construit par une politique de la poudre aux yeux”. […] Enron a mis seize ans pour voir ses actifs passer de 10 millions à 65 milliards de dollars et vingt-quatre jours pour faire faillite; 20’000 employés ont perdu leur emploi, 2 milliards de dollars de pensions et de retraites ont été dilapidés…
Enron c’est aussi l’histoire de son P-DG, Ken Lay, fils de pasteur, originaire d’une famille pauvre, qui rêvait enfant de faire fortune. Le parcours d’un ambitieux qui fait des études d’économie, puis part à Washington diplôme en poche pour faire fortune, rencontre les années Ronald Reagan et profite de la dérégulation des marchés de l’énergie. C’est le temps où Ronald Reagan décline en deux phrases le credo néolibéral: “Le gouvernement ne résout pas les problèmes. Il est le problème.”
Comment ne pas être intrigué par les similitudes de cette histoire-là avec celle de la Royal Bank of Scotland et de son P-DG Fred Goodwin rapportée par le journal Libération:
Longtemps, Fred Goodwin a été le chouchou de la City, un homme adulé pour ses coups d’audace : n’avait-il pas réussi en quelques années à convertir une petite banque écossaise somnolant depuis trois siècles en un acteur du groupe de tête de la finance mondiale ? Une trajectoire totalement en phase avec le discours du New Labour de Tony Blair et Gordon Brown sur la nécessité pour les banques britanniques de se doter d’une envergure mondiale, afin que la City devienne la première place financière mondiale. Une réussite, puis une catastrophe. […].
Fils d’électricien, [Fred Goodwin] a étudié le droit à l’université de Glasgow, après avoir grandi dans une banlieue pas très glamour de la ville écossaise. D’abord embauché dans une entreprise de conseil, puis une première petite banque écossaise, il entre à RBS il y a dix ans, comme directeur général adjoint. C’est alors qu’il monte le plus beau coup de sa carrière : le rachat hostile de NatWest, trois fois plus grosse que RBS. Le réseau NatWest est conservé, mais la fusion se solde tout de même par la suppression de 18 000 emplois. Le jeune banquier y gagne son surnom de «Fred the Shred», Fred la tronçonneuse. En guise de remerciements, il est nommé n° 1 et se lance dans une série d’acquisitions plus ou moins importantes, une vingtaine au total, qui le mènent des Etats-Unis jusqu’à la Chine.
[…] En 2002, c’est la 13e banque mondiale, la 4e en bénéfices, derrière Citigroup, Bank of America et HSBC. Fred Goodwin fait la une du magazine Forbes comme «global businessman of the year». L’année suivante, il est «banquier européen de l’année», un titre décerné par un panel de journalistes financiers. Puis, en 2004, c’est la consécration suprême, le titre de «Sir». La porte du 11 Downing Street, le ministère des Finances, lui est ouverte.
[…]
La chute de Sir Fred a été plus rapide encore que son ascension. En 2007, pour doubler sa concurrente Barclays, il veut racheter à tout prix le géant de la banque néerlandaise ABN Amro. Il monte alors avec ses alliés Fortis et Santander la plus grosse fusion-acquisition de l’histoire du secteur bancaire mondial. Le deal est signé en octobre 2007, alors que la crise des subprimes secoue déjà les Etats-Unis et commence à se propager en Grande-Bretagne.
A la City, on traite Sir Fred de mégalo. Entre l’achat surpayé d’ABN Amro et les filiales américaines de RBS qui sont déjà infectées de subprimes, la banque commence sa grande dégringolade. En Bourse, l’action perd… 98 % de sa valeur en 2008. Goodwin est désigné «le pire banquier du monde» par Newsweek et les lecteurs du blog Alphaville du Financial Times.
Y a pas à dire: It’s a brave new world!
NB: bien entendu cela ne veut pas dire que le secret bancaire est légitime ou qu’il ne faut pas lutter contre les paradis fiscaux. C’est dire que ces deux éléments font partie du système. C’est le chiffon agité devant le taureau qui obnubilé par celui-ci ne voit pas ni les banderilles, ni l’épée du toréador.
Crise : les suspects habituels doivent être libérés ! | Telos
Un article pour ceux qui croient que la crise économique actuelle est uniquement une crise financière…
L’article: Crise : les suspects habituels doivent être libérés ! | Telos
Propos de crise (8) : d'un Galbraith à l'autre
Les mêmes causes – bulle immobilière et spéculative – produisant les mêmes effets – effondrement du système financier, ruineuse déflation de la dette, longue et douloureuse récession – James K. Galbraith estime que c’est dans l’étude de la crise des années 1930 qu’il convient de rechercher le modèle et le format de l’action publique requises. Que faire ? Soutenir, soutenir et soutenir encore la demande, par le biais des transferts sociaux et des investissements de l’Etat, car tant que la situation financière des ménages ne sera pas restaurée, ce qui prendra des années, prévoit-il, l’économie largement en surcapacité ne redémarrera pas. Mais même un programme de cette ampleur pourrait ne pas suffire. La crise des années trente, rappelle-t-il, n’a véritablement pris fin qu’avec l’effort de guerre, où la production avait doublé. Les USA disposent-ils alors d’une solution ? Oui, répond Galbraith, si cette crise est mise à profit pour entreprendre la tâche gigantesque de la reconversion énergétique et de la lutte contre les émissions de CO2. Reste la question du financement. Pour lui, le rôle central des USA dans les relations internationales devrait leur assurer le soutien de l’étranger et leur permettre de lever les fonds requis.
L’article complet: ContreInfo :: Une crise hors norme, par James K. Galbraith (II/II)
Brèves de la semaine du 2009-03-29
- Au quotidien d’Ada, Sue, Christelle, Caroline et toutes les autres… #ald09 http://ow.ly/1kIt #
- Pour la première fois de l’histoire, une femme va présider la ville de Zürich http://bit.ly/BYSh #
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