La messe est dite et redite: en matière de sécurité la gauche serait angélique. Une nouvelle fois ce topoï a été resservi après la défaite de la gauche et des verts au Conseil d’Etat genevois. Pourtant de tels propos ne sont jamais objectivés sérieusement. Prenons l’exemple de la tolérance zéro que la nouvelle conseillère d’Etat libérale Isabelle Rochat appelait de ses vœux dimanche soir à Genève.

Harcourt (2006) L'illusion de l'ordre
Ce concept d’une police centrée sur la répression exclusive a fait florès à l’époque de Rudolf Giuliani, gouverneur de New York. Pourtant, devant l’ampleur des dégâts collatéraux générés, la police de New York a fait marche arrière. En 2006 déjà, Bernard Harcourt, professeur de droit à l’université de Chicago, décrivait l’échec de la tolérance zéro qui
« s’appuie sur une politique qui ne fait baisser ni les meurtres ni les vols et on gaspille les ressources (policières). Les relations de plus en plus tendues entre la police et les populations dans les quartiers favorisent aussi un embrasement de la situation. » (L’illusion de l’ordre: incivilités et violences urbaines, tolérance zéro? Paris, Descartes & Cie, 2006)
Pour Harcourt, la tolérance zéro a débouché sur la criminalisation des problèmes sociaux s’en résoudre la cause et n’a servi qu’à exclure un peu plus des cohortes de gens déjà marginalisés.
Aujourd’hui, le volet éminemment social d’une police de proximité (rencontres et travail avec les habitants/associations de quartiers, intégration d’assistants sociaux et de psychologues ou de personnel non-policier en civil dans les unités de police, renforcement ou retour des postes de quartiers ou îlotages) a été réintroduit par la police new yorkaise. Il est prôné le développement d’une police communautaire (community policy) et pluridisciplinaire où l’accent est aussi mis de manière importante sur la prévention.
En ce sens, les mesures récentes prises par Laurent Moutinot —et votées par le Parlement genevois— de favoriser à Genève le développement des polices municipales et de proximité s’inscrivent dans cette logique qui doit maintenant être mise en oeuvre.
Cependant, cette seule politique de sécurité ne suffit pas pour répondre aux causes des problèmes sociaux, car elle ne peut qu’en limiter les effets. En ce sens, les politiques économiques et sociales prônées par la gauche loin d’être déconnectées des problèmes de sécurité en forment l’indispensable complément.
Au terme de ce petit tour d’horizon, je ne tomberai pas dans un autre topoï qui voudrait qu’une certaine droite serait elle cynique électoralement au sujet de la sécurité en prônant une tolérance zéro qui ne peut que maintenir un contexte pesant d’insécurité plutôt que de le faire régresser…
Cet article fait également l’objet de ma chronique sur combats.ch.
Compléments:
• le site de Bernard Harcourt avec des textes en français et en anglais. Je vous recommande plus particulièrement l’article suivant: Du Désordre et de la délinquence: Réflexions sur l’importation de la théorie de la vitre brisée en France, (.pdf) CAHIERS PARISIENS, No. 2 2006 (2006)
• Concernant la situation à Genève ces dernières années, lire Yves Delachaux, Monsieur Ethique de la Police genevoise, sur son site (http://www.flicdequartier.ch) ou son interview de la Revue Reiso : Quand un flic dépose les armes. On lire également compte-rendu de son expérience édifiante en banlieue française dans le journal Le Temps, Un helvète chez les flics de banlieue (Saint-Denis en France) qui illustre bien l’impasse du concept de la tolérance zéro à l’échelle de la France.
J'ai publié: De langélisme de la gauche en matière de sécurité http://ow.ly/162xR8