Dans leurs éditions du 14 octobre pour Libération et Le Courrier et du 15 octobre pour le journal Le Temps, ces trois journaux publient rigoureusement de manière identique l’interview réalisé par Eric Jozsef du maire de Venise Massimo Cacciari qui s’exprime sur les six premiers mois au pouvoir de Silvio Berlusconi.
Toutes les nuances ou différences sont à chercher dans le titre et le chapeau de titre accompagnant l’interview.*
Je commence par Libération:
«Silvio Berlusconi est très habile pour vendre du vent»
Massimo Cacciari, philosophe et maire de Venise.
Poursuivons avec Le Courrier:
Six mois de pouvoir n’ont pas usé la cote d’amour de Berlusconi
L’habile communicateur, qui gonfle plus de baudruches qu’il ne résout de problèmes, profite de l’extrême faiblesse de l’opposition.
Et je conclus avec le journal Le Temps
«Avec la crise, Silvio Berlusconi a proposé une politique plus réaliste et plus moraliste»
ITALIE. Six mois après son retour au pouvoir, le président du Conseil, malgré le séisme financier, reste très populaire.
La manière de procéder me paraît relativement exemplaire de la manière dont l’interview est devenu un moyen journalistique privilégié pour faire passer l’opinion d’un journal. Le journalistique errige la personne interrogée en expert du sujet qui serait ainsi un témoin « objectif » de la situation:
«Philosophe, maire de Venise et électron libre de la gauche réformatrice, Massimo Cacciari analyse cette popularité [de Silvio Berlusconi] »
Le fait de qualifier Massimo Cacciari d’électron libre de la gauche réformatrice l’adoube en effet comme expert indépendant. L’effet est encore plus fort dans le journal Le Temps, journal représentant de la droite économique suisse-romande, mais il l’est tout autant pour les deux autres journaux qui adoptent un ton décalé par rapport à l’ensemble des autres quotidiens.
Au surplus, nous restons sur notre faim relativement à un compte-rendu factuel des six premiers mois du gouvernement Berlusconi, car l’interview, dans sa conception et ses questions, pousse à l’avis personnel et donc au subjectif et non à l’informatif et au factuel. Tout tend à devenir subjectif dans le travail actuel des médias sous couvert d’objectivité.
Par ailleurs, la démarche fait que seul Silvio Berlusconi endosse les actes du gouvernement et du parlement. Ainsi, dans l’interview, Massimo Cacciari évoque les mesures de déploiements des troupes dans les villes italiennes. Pour ma part, en vacances en Italie à fin juillet, j’ai assisté atterré au compte-rendu télévisuels des débats parlementaires concernant ces mesures prises en pleine période touristique…
Un travail journalistique correct présenterait ces mesures avec les autres mesures prises par le gouvernement et le parlement depuis son entrée en fonction et sortirait aussi du simplisme de l’action politique telle que présentée qui fait, par exemple via cet interview, qu’un seul homme (ou femme) incarnerait l’action politique d’un gouvernement. Nous sortirions de la logique qui veut nous faire croire que notre devenir dépend de l’action d’une seule personne. Un tel travail ferait alors émerger les forces et les logiques économiques et sociales à l’oeuvre. En l’absence d’un tel travail journalistique, il n’est guère étonnant qu’en réponse à cette vision des choses qui rend le monde inintelligible se développent des théories du complot.** Nous savons bien toutes les dérives possiblles qu’une telle vision d’un monde gouverné par le complot peut amener.
*Il serait intéressant également de comparer les éventuelles photos et les légendes les accompagnant, malheureusement pour Libération et Le Temps je n’ai que la version web.
** Je rejoins en cela les propos conclusifs d’un des derniers billets d’André Gunthert ( Un oeil noir te regarde)
Sources:
Libération:http://www.liberation.fr/monde/0101124124-silvio-berlusconi-est-tres-habile-pour-vendre-du-vent
Le Courrier: cet article ne peut être consulté en ligne
Le Temps (durée de vie limitée pour le lien) : http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&article=241817
Photo: Silvio Berlusconi et son conseiller Paolo Bonaiut en avril 2008 (MANUELA CACCIAGUERRA/EMBLEMA)
Nouveau billet: Un interview, trois journaux… et combien de points de vue? http://tinyurl.com/4jhuzt