ou La tarte à la crème de l’intégration des technologies à l’école (premier titre trouvé pour ce billet)
Préambule:
J’ai la faiblesse de penser que la question de l’intégration des technologies en milieu scolaire, est bien plus importante* que les débats fumeux autour de la question de l’orthographe de nos élèves. En effet, il s’agit de ne pas se tromper sur la nature de l’alphabétisation qu’il convient de dispenser à nos enfants en ces temps de mutation que nous connaissons.
Il n’est pas inutile non plus de rappeler que la fabrique scolaire de l’orthographe, de la dictée et de la grammaire désincarnée date d’à peine 150 ans. Nous avons donc bien plus connu de siècles où la question de la norme orthographique n’intéressait presque personne et surtout pas la question de l’acquisition de la culture et de la connaissance que de siècles qui en ont fait un saint Graal absolu. Et surtout un instrument de sélection/ségrégation scolaire et sociale sous couvert d’un instrument d’apparence neutre.
Enfin, comme le rappelle Michel Winock dans la dernière livraison de la revue L’Histoire et dans son dossier intitulé « Comment meurent les civilisations » :
« L’adaptation au changement est difficile pour tout individu qui vieillit, surtout quand les mutations sont rapides, lors des crises économiques, au lendemain des guerres, ou en cas d’innovations technologiques bouleversantes. Cette difficulté, cette souffrance même a contribué à diffuser le terme de «décadence» par la valorisation excessive d’un hier fantasmé. Tout devient preuve de cette décadence : la peinture de Picasso, l’émancipation des femmes, l’abaissement de l’enseignement du latin, la fin de l’orthographe, la raréfaction des vocations sacerdotales, etc. »
Au final, en rapport avec le temps scolaire et donc l’horaire scolaire, il convient de s’interroger relativement à la place à faire et à laisser en fonction des différents enjeux qui attendent nos sociétés ses prochaines années, voire décennies. A titre d’exemple, le jeu de la réintroduction de la dictée hebdomadaire en vaut-il la chandelle, d’une part, en rapport avec l’accroissement du niveau attendu par ce biais en lecture/écriture chez nos enfants et, d’autre part, en rapport avec le temps soustrait à d’autres activités scolaires, voire d’un temps qui pourrait être octroyé à d’autres activités telles l’alphabétisation et la construction de savoirs technologiques?
La situation peut reluisante de l’utilisation des technologies en milieu scolaire:
Dans un billet très éclairant paru en ce début 2007 (« 2007, l’école et les TIC »), Gilles Jobin brosse le tableau peu reluisant de l’utilisation des technologies en milieu scolaire.
Laissons-lui la parole pour nous présenter le ton et l’objectif de ses propos :
Le mieux est de procéder par des exemples. Récemment, j’ai assisté un peu par hasard à un cours donné par un enseignant de musique au labo informatique. Les élèves avaient une feuille à remplir du genre : Années de naissance et de mort de Vivaldi, citez une oeuvre du compositeur, trouvez une anecdote, etc. La recherche se faisait sur le web, les réponses étaient données sur papier. La plupart des élèves (4e année) sont tombés sur Wikipédia, et après une vingtaine de minutes, le travail était fait. Est-ce de l’intégration des TIC? On pourrait être tenté de répondre oui. Et, ma foi, il est très heureux qu’un spécialiste du primaire ait amené ses élèves au labo. Mais si on fouille un peu plus, quelle différence y a-t-il entre cette activité, et cette même activité faite en bibliothèque dans un livre d’une encyclopédie qu’on y trouve ? Il n’y en a aucune. Si, par la suite, ces élèves sont amenés à mettre leur travail au propre et à utiliser un traitement de texte pour ce faire, il y a peu de différence entre le mettre au propre à la main ou à l’aide d’une dactylo. C’est là une utilisation ustensile de l’informatique.
Par la suite, Gilles Jobin montre l’inanité des différents plans informatiques qui se sont succédés dans les écoles québécoises. Les effets d’annonces et marketing du politique tournent vite les meilleures intentions du monde en un cimetière de machines prenant la poussière sur les armoires des établissements. Sans que cela soit de la faute première des enseignant-e-s.
Ces propos et exemples fournis par Gilles Jobin concernant les écoles québécoises peuvent très largement être reproduits quasiment par couper/coller pour chacun des pays du monde occidental. Les mêmes constats, les mêmes exemples, les mêmes plans informatiques foireux se déclinent pays après pays dans le monde occidental, y compris en Suisse. Un des meilleurs observateurs de ces discours incantatoires et de leur confrontation avec le quotidien des classes est certainement l’auteur américain et spécialiste de l’histoire de l’éducation Larry Cuban. Depuis longtemps, ce dernier dénonce notamment le fait que les écoles sur-paient le matériel technologie et le sous-emploie en classe; c’est le titre d’un de ses ouvrages les plus lus en ce domaine : Computers, Oversold and Underused.
Mais que faut-il faire pour sortir de cette ornière et de ses mauvais «remake» dont le politique et l’institution scolaire ont le secret relativement à l’utilisation des technologies en milieu scolaire ?
Propositions de Gilles Jobin:
Après les constats, les propositions. Pour Gilles Jobin, la première mesure est de fournir à tous les enseignants un ordinateur portable. Trop cher ? :
« Bien sûr. Mais je ne vois aucun moyen de faire autrement. Les TIC, c’est coûteux. Ou bien on y croit, et on investit. Ou bien on fait semblant d’y croire, et on fait comme maintenant. Si on juge qu’on n’a pas les moyens de payer un portable par enseignant et de les former, alors il faudrait penser à supprimer la compétence TIC de notre programme. »
On peut ajouter que c’est toujours extraordinaire la manière dont les politiques et l’institution scolaire prodiguent des injonctions contradictoires. D’une part, en exprimant leur volonté d’intégrer les technologies à l’école, d’autre part en ne fournissant pas cet outil aux principaux intéressés, c’est-à-dire les professeurs soit ceux qui devront concevoir des activités et un enseignement recourant et intégrant les technologies dans les pratiques de classes.
Par ailleurs, dans un précédent billet, j’avais déjà mis en avant le fait que dans les plans informatiques plus du 90% des moyens déployés concernant l’acquisition de matériel et des installations. Très peu de moyens sont ensuite consacrés à la formation, l’encadrement et la mise à disposition de ressources pour les enseignants. Or, pour 1 franc investit dans le matériel et les infrastructures, il faudrait en consacrer frs 2.- à la formation et la mise à disposition de ressources pour les enseignant-e-s. Gilles Jobin évoque aussi cette question dans son billet.
Ne pas avoir peur d’aller beaucoup plus loin:
Personnellement devant la force d’inertie du système (parents/institution/enseignement), des mesures radicales devraient être prises pour modifier réellement et durablement la situation de l’utilisation des technologies à l’école.
Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi, à partir du moment où le contrat social et scolaire serait clair et que l’intégration des technologies à l’école deviendrait véritablement prioritaire, il devrait en être autrement à l’école que dans n’importe qu’elle autre domaine professionnel. Ainsi, pour ma part, j’ai vécu dans le domaine des assurances le passage à l’informatique. Si l’intégration de l’outil s’est faite par étape et de manière progressive, il n’en demeure pas moins qu’à moyen terme tout le monde a dû passer à l’utilisation de cet outil dans son activité professionnelle. L’institution scolaire est le seul lieu que je connaisse où il est possible pour ses membres de ne pas utiliser les protocoles ou outils prévus. C’est une de ses caractéristiques remarquables qui m’a toujours profondément interrogé !
Pour ma part, suivant la sollicitation de Gilles Jobin en conclusion de son article, je proposerai deux mesures que je qualifie de «radicale» :
• je reprends l’idée développée en septembre dernier « Et si nous équipions tous les élèves suisses d’un ordinateur à frs 300 ? ». Cette mesure a aussi l’avantage de s’accompagner de la participation et du financement en parallèle de la Suisse à l’équipement en ordinateur de pays pauvres.
• l’interdiction de toute photocopie pour l’enseignement/enseignant/élèves ainsi que de l’installation d’une seule imprimante réseau ne permettant qu’un nombre très limité de tirages journaliers et installée par exemple dans le bureau du directeur.
Dans mes pratiques enseignantes, j’ai souvent constater que certaines contraintes loin de freiner la créativité et le travail des élèves leur offrait un cadre stimulant et les amenaient à produire des travaux de qualité. Peut-être que, pour votre part, vous avez d’autres idées iconoclastes, voire radicale, à proposer en la matière ?** N’hésitez pas…
* bien plus importante signifie donc bien que la question de la lecture et de l’écriture, à distinguer de l’acquisition de l’orthographe pour l’orthographe et de la fameuse dictée, ne sont pas pour autant négligeable, entendons-nous bien.
** autrement je serai partisan d’une autre radicalité : faire sortir les technologies de l’école plutôt que de les mimer…
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