L’auteure de « La Pianiste », Prix Nobel de littérature 2004, enfant terrible de l’Autriche, tient le monde à distance depuis quinze ans. Présence purement numérique, elle publie ses textes tranchants et ironiques sur Internet, et n’accorde plus que de rares interviews – telle celle-ci au journal « Le Monde ».
Vous considérez-vous toujours comme une artiste engagée ?
« Artiste engagée, c’est presque devenu une insulte. Dans leur grande majorité, ceux qui écrivent aujourd’hui revendiquent plutôt le fait d’être politiquement incorrects. Moi aussi, je m’insurge depuis un certain temps contre les dérives de la « political correctness ». Quand on est écrivain, on n’a pas le choix, on ne peut pas faire autrement. C’est un langage trop souvent perverti, qui n’est plus qu’un rituel vide de sens, un apaisement superficiel des rapports sociaux. A bien des égards, il tend à niveler les différences au lieu de les faire éclater au grand jour, tout en se revendiquant de la bien-pensance. Or on ne dévoile pas le racisme ou le sexisme d’une langue en l’édulcorant, ou en inventant d’autres mots parce que les anciens sont usés. Ces mots soi-disant nouveaux ne sont en réalité que des clichés, qui servent à discipliner les gens. Tous ceux qui sont opprimés ont beau le souhaiter eux aussi, ce n’est pas en disant que les Afro-Américains, par exemple, sont des citoyens à part entière qu’ils le deviennent dans les faits. C’est une façon d’édulcorer ou d’euphémiser les rapports sociaux. Que fait-on alors des Nègres, de Genet 1958 ? Ou du Combat de nègre et de chiens, de Koltès Minuit, 1979 ? Ce n’est pas non plus en féminisant la langue que l’on parviendra à l’égalité entre les sexes. Même si c’est très important et que je suis pour, ce n’est qu’une première étape. Il ne faut pas s’arrêter là. Il faut sans cesse faire éclater la plaie pour en faire sortir le pus. »
Source : Elfriede Jelinek : « La rage me submerge toujours autant, sans quoi je n’écrirais pas »
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