Professeur de Sciences politiques à l’University College London, auteur notamment de La Social-démocratie domestiquée (éd. Aden), Philippe Marlière était aux premières loges de la campagne pour le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. La victoire du Brexit constitue selon lui un lourd désaveu pour les deux partis dominants britanniques, et un trompe l’œil pour les électeurs de gauche favorables à la rupture avec l’UE.
La victoire du Brexit avec 51,9% des voix ce 24 juin se confond avec le triomphe de Nigel Farage, un eurosceptique souverainiste de droite. Le vote des citoyens britanniques pour la sortie de l’UE est-il pour autant un vote de droite, voire xénophobe ?
Philippe Marlière – Il faut distinguer deux choses dans ce vote, que l’on peut qualifier de manière générale d’eurosceptique. Les forces qui l’ont propulsé sont effectivement de droite. Elles ont un programme économique ultralibéral, et se situent à droite sur le plan des idées. Ces forces, au premier rang desquelles l’Ukip (parti souverainiste de droite de Nigel Farage, ndlr), n’ont pas hésité à jouer de la corde nationaliste et xénophobe en produisant un discours sur l’immigration qui visait à effrayer les électeurs. Ainsi, quelques jours avant le jour du référendum, l’Ukip a affiché un poster représentant des réfugiés syriens en Slovénie – ce qui n’avait rien à voir – avec ce slogan : “Breaking point” (“point de non retour”). Ce n’est donc pas une sortie de gauche – un “lexit”.
Mais pour une partie de l’électorat, le motif de sortie de l’UE n’est pas de cet ordre, ou en tout cas pas complètement. Il s’agit d’un électorat blanc, ouvrier des zones urbaines ou périurbaines industrielles, et du Pays de Galles, qui est politiquement plutôt de gauche. Cet électorat a voté “leave” en espérant récupérer sa souveraineté populaire, pour mener des politiques de gauche en rupture avec l’austérité – comme le revendique la gauche radicale française. L’immigration a aussi été l’une des motivations de cet électorat, mais plus on se rapprochait du vote, plus les enjeux se sont nationalisés : la colère populaire s’est dirigée contre les élites britanniques qui mènent des politiques d’austérité, et pas contre les élites bruxelloises. Il y aura donc une contradiction entre la force propulsive du Brexit – ultralibérale et nationaliste – et cet électorat.
Lire l’article des Inrocks : Brexit : “Un divorce politique entre le peuple et la classe politique britannique”
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