Dans un article s’interrogeant sur la signification de la critique relative à la technologie, Evgeny Morozov, écrivain d’origine biélorusse, spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technologique et du numérique et collaborateur à The New Republic, estime que la critique à l’encontre de la technologie s’est souvent révélée conservatrice. Elle est même à l’avant-garde du projet néo-libéral.
Cette critique se cristallise souvent sous la forme d’une technophobie, un rejet du progrès technique, des innovations, des évolutions et des révolutions que la technique introduit, qui peine à distinguer ce qui relève de la technique de ce qui relève de son ingénierie, de la manière dont elle est implémentée, mais aussi et surtout du système politique, social et économique qui la conduit.
Morozov prend pour exemple le dernier livre de Nicholas Carr, qui avec La cage de verre (voir l’article d’InternetActu), prolonge son oeuvre critique des technologies. Dans ce dernier opus, Carr soutient que nous avons omis de tenir compte des coûts cachés de l’automatisation.
Mais l’automatisation permet-elle de comprendre les impacts des changements en cours ? Pas si simple, estime Morozov, notamment parce qu’il y a plusieurs formes d’automatisation. Celle qui permet aux voitures autonomes de rouler n’est pas la même que celle qui permet la reconnaissance faciale ou que celle de Shazam, le système qui permet de reconnaître n’importe quelle chanson. Dans la première, le conducteur devient inutile, pouvant certes inspirer un certain néo-luddisme. Dans la seconde, la technologie augmente les capacités humaines à reconnaître des visages. Dans la dernière, Shazam créer une nouvelle capacité puisque les humains ne savent pas reconnaître toutes les chansons qui existent. Qu’automatise-t-on dans ces derniers cas ?
Plus fondamentalement, pour Morozov
la critique technologique remplace la critique politique et sociale. Les catégories analytiques habituelles (l’exploitation, les classes sociales…) sont abandonnées au profit de concepts flous et moins précis. Quand il critique les transactions financières à haute fréquence, Carr reste plus préoccupé de l’impact que ces algorithmes ont sur les marchés que de l’impact du marché sur chacun d’entre nous. L’automatisation érode les compétences et connaissances des professionnels de la finance, note-t-il, sans dire un mot du rôle de ces professionnels sur la marche du monde…
Radicalement, il indique que
“Aujourd’hui, il est évident pour moi que la critique de la technologie, si elle n’est pas couplée à un projet de transformation social radical, n’atteint pas son but”. Il est plus simple de discuter sans fin de notre dépendance excessive à nos téléphones et à leurs applications.
Dès lors,
“En reléguant les problèmes sociaux et politiques au seul niveau des individus (il n’y a pas de société, seulement des individus et leurs gadgets), la critique de la technologie est finalement à l’avant-garde théorique du projet néolibéral” que porte le système technique.
(Source : Technologie : avons-nous raison d’être critiques ? « InternetActu.net)
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