La réunion du G20 est-elle susceptible d’apporter des réponses à la crise économique que nous traversons?
Personnellement j’en doute. Comme de la plupart des mesures prises par les différents gouvernements.
Ce que je constate, c’est que, plutôt que de s’attaquer véritablement à la question, chaque gouvernement, président, premier ministre s’essaye surtout à relancer la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits communément appelée «storytelling» [Christian Salmon (2008). Storytelling. Paris: La Découverte]. Nous sommes en plein dans l’ère de la fiction, dans un western financier où dans le rôle de la brute et le truand on trouve les paradis fiscaux, Fred Goodwin —l’ancien patron de la Royal Bank of Scotland ou les empêcheurs de secret bancaire made in Switzerland.
A chacun le sien. A chacun de trouver bouc-émissaire à son pied.
Cela suffira-t-il à détourner l’attention des différents publics nationaux? Quand est-ce que le soma cessera-t-il de faire effet?
Pourtant, rapportée à la sphère économique, il ne s’agit que de l’autre face de la même pièce jouée depuis les années 1980 et incarnée par le «storytelling». En effet, ce dernier traduit en récit depuis les années 1980 “l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme” [Boltanski et Chiapello (2000). Eve, Le Nouvel Esprit du capitalisme. Paris: Gallimard], dépasse le simple fait de raconter des histoires pour construire “un ensemble de croyance à même de susciter l’adhésion et d’orienter les flux d’émotions, bref de créer un mythe collectif contraignant” (Salmon: 102)
De même ce qui se passe devant nos yeux n’est que le remake à la puissance x de la faillite d’Enron. Il suffit de lire l’évocation faite par Salmon (p. 104 et ss):
“It’s a fabulous story…” Au printemps 2001, quelques mois avant la banqueroute retentissante d’Enron, son P-DG concluait ainsi un spot de publicité consacré à sa société. Enron était alors la septième entreprise des Etats-Unis, évaluée à presque 70 milliards de dollars, l’un des fleurons de la “nouvelle économie” […] juste avant de s’effondrer en 2001.
Selon Bethany McLean, une journaliste de Fortune qui fut une des premières à mettre en doute la solidité financière du géant Enron, cette entreprise était en fait “un château de cartes, un mirage construit par une politique de la poudre aux yeux”. […] Enron a mis seize ans pour voir ses actifs passer de 10 millions à 65 milliards de dollars et vingt-quatre jours pour faire faillite; 20’000 employés ont perdu leur emploi, 2 milliards de dollars de pensions et de retraites ont été dilapidés…
Enron c’est aussi l’histoire de son P-DG, Ken Lay, fils de pasteur, originaire d’une famille pauvre, qui rêvait enfant de faire fortune. Le parcours d’un ambitieux qui fait des études d’économie, puis part à Washington diplôme en poche pour faire fortune, rencontre les années Ronald Reagan et profite de la dérégulation des marchés de l’énergie. C’est le temps où Ronald Reagan décline en deux phrases le credo néolibéral: “Le gouvernement ne résout pas les problèmes. Il est le problème.”
Comment ne pas être intrigué par les similitudes de cette histoire-là avec celle de la Royal Bank of Scotland et de son P-DG Fred Goodwin rapportée par le journal Libération:
Longtemps, Fred Goodwin a été le chouchou de la City, un homme adulé pour ses coups d’audace : n’avait-il pas réussi en quelques années à convertir une petite banque écossaise somnolant depuis trois siècles en un acteur du groupe de tête de la finance mondiale ? Une trajectoire totalement en phase avec le discours du New Labour de Tony Blair et Gordon Brown sur la nécessité pour les banques britanniques de se doter d’une envergure mondiale, afin que la City devienne la première place financière mondiale. Une réussite, puis une catastrophe. […].
Fils d’électricien, [Fred Goodwin] a étudié le droit à l’université de Glasgow, après avoir grandi dans une banlieue pas très glamour de la ville écossaise. D’abord embauché dans une entreprise de conseil, puis une première petite banque écossaise, il entre à RBS il y a dix ans, comme directeur général adjoint. C’est alors qu’il monte le plus beau coup de sa carrière : le rachat hostile de NatWest, trois fois plus grosse que RBS. Le réseau NatWest est conservé, mais la fusion se solde tout de même par la suppression de 18 000 emplois. Le jeune banquier y gagne son surnom de «Fred the Shred», Fred la tronçonneuse. En guise de remerciements, il est nommé n° 1 et se lance dans une série d’acquisitions plus ou moins importantes, une vingtaine au total, qui le mènent des Etats-Unis jusqu’à la Chine.
[…] En 2002, c’est la 13e banque mondiale, la 4e en bénéfices, derrière Citigroup, Bank of America et HSBC. Fred Goodwin fait la une du magazine Forbes comme «global businessman of the year». L’année suivante, il est «banquier européen de l’année», un titre décerné par un panel de journalistes financiers. Puis, en 2004, c’est la consécration suprême, le titre de «Sir». La porte du 11 Downing Street, le ministère des Finances, lui est ouverte.
[…]
La chute de Sir Fred a été plus rapide encore que son ascension. En 2007, pour doubler sa concurrente Barclays, il veut racheter à tout prix le géant de la banque néerlandaise ABN Amro. Il monte alors avec ses alliés Fortis et Santander la plus grosse fusion-acquisition de l’histoire du secteur bancaire mondial. Le deal est signé en octobre 2007, alors que la crise des subprimes secoue déjà les Etats-Unis et commence à se propager en Grande-Bretagne.
A la City, on traite Sir Fred de mégalo. Entre l’achat surpayé d’ABN Amro et les filiales américaines de RBS qui sont déjà infectées de subprimes, la banque commence sa grande dégringolade. En Bourse, l’action perd… 98 % de sa valeur en 2008. Goodwin est désigné «le pire banquier du monde» par Newsweek et les lecteurs du blog Alphaville du Financial Times.
Y a pas à dire: It’s a brave new world!
NB: bien entendu cela ne veut pas dire que le secret bancaire est légitime ou qu’il ne faut pas lutter contre les paradis fiscaux. C’est dire que ces deux éléments font partie du système. C’est le chiffon agité devant le taureau qui obnubilé par celui-ci ne voit pas ni les banderilles, ni l’épée du toréador.
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