Le précédent billet relatif à Bourdieu et son appréciation relative à Ségolène Royal m’a fait (re)découvrir un texte de Pierre Bourdieu qui est entré soudain en écho (très) indirect avec les débats scolaires actuels, mais révélateurs de nos rapports aujourd’hui à l’égard de l’institution scolaire. Crise scolaire ou instrumentalisation de la part de certains, peu importe, les résultats de ce champ de bataille sont les mêmes, car ils aboutissent à une délégitimation de l’institution et de ses intervenants. Mais au bénéfice de qui?
• Par ce détour à travers l’exemple de l’Église, je voulais poser la question suivante : la crise linguistique est-elle séparable de la crise de l’institution scolaire ? La crise de l’institution linguistique n’est-elle pas la simple manifestation de la crise de l’institution scolaire ? Dans sa définition traditionnelle, dans la phase organique du système d’enseignement français, l’enseignement du français ne faisait pas problème, le professeur de français était assuré : il savait ce qu’il fallait enseigner, comment l’enseigner, et rencontrait des élèves prêts à l’écouter, à le comprendre et des parents compréhensifs pour cette compréhension. Dans cette situation, le professeur de français était un célébrant : il célébrait un culte de la langue française, il défendait et illustrait la langue française et il en renforçait les valeurs sacrées. Ce faisant, il défendait sa propre valeur sacrée : ceci est très important parce que le moral et la croyance sont une conscience à soi-même occultée de ses propres intérêts.
Si la crise de l’enseignement du français provoque des crises personnelles aussi dramatiques, d’une violence aussi grande que celles qu’on a vues en Mai 68 et après, c’est que, à travers la valeur de ce produit de marché qu’est la langue française, un certain nombre de gens défendent, le dos au mur, leur propre valeur, leur propre capital. Ils sont prêts à mourir pour le français… ou pour l’orthographe ! De même que les gens qui ont passé quinze ans de leur vie à apprendre le latin, lorsque leur langue se trouve brusquement dévaluée, sont comme des détenteurs d’emprunts russes…
• Un des effets de la crise est de porter l’interrogation sur les conditions tacites, sur les présupposés du fonctionnement du système. On peut, lorsque la crise porte au jour un certain nombre de présupposés, poser la question systématique des présupposés et se demander ce que doit être une situation linguistique scolaire pour que les problèmes qui se posent en situation de crise ne se posent pas. […] Dans le cas de la religion, pour que la liturgie romaine fonctionne, il faut que soit produit un certain type d’émetteurs et un certain type de récepteurs. Il faut que les récepteurs soient prédisposés à reconnaître l’autorité des émetteurs, que les émetteurs ne parlent pas à leur compte, mais parient toujours en délégués, en prêtres mandatés et ne s’autorisent jamais à définir eux-mêmes ce qui est à dire et ce qui n’est pas à dire.
Il en va de même dans l’enseignement : pour que le discours professoral ordinaire, énoncé et reçu comme allant de soi, fonctionne, il faut un rapport autorité-croyance, un rapport entre un émetteur autorisé et un récepteur prêt à recevoir ce qui est dit, à croire que ce qui est dit mérite d’être dit. Il faut qu’un récepteur prêt à recevoir soit produit, et ce n’est pas la situation pédagogique qui le produit.
• Pour récapituler de façon abstraite et rapide, la communication en situation d’autorité pédagogique suppose des émetteurs légitimes, des récepteurs légitimes, une situation légitime, un langage légitime.
Il faut un émetteur légitime, c’est-à-dire quelqu’un qui reconnaît les lois implicites du système et qui est, à ce titre, reconnu et coopté. Il faut des destinataires reconnus par l’émetteur comme dignes de recevoir, ce qui suppose que l’émetteur ait pouvoir d’élimination, qu’il puisse exclure « ceux qui ne devraient pas être là »; mais ce n’est pas tout : il faut des élèves qui soient prêts à reconnaître le professeur comme professeur, et des parents qui donnent une espèce de crédit, de chèque en blanc, au professeur. Il faut aussi qu’idéalement les récepteurs soient relativement homogènes linguistiquement (c’est-à-dire socialement), homogènes en connaissance de la langue et en reconnaissance de la langue, et que la structure du groupe ne fonctionne pas comme un système de censure capable d’interdire le langage qui doit être utilisé.
L’article complet : Ce que parler veut dire
Pierre Bourdieu : «Ségolène Royal est de droite…»
Quand Pierre Bourdieu, le plus grand sociologue français des 25 dernières années, dit que Ségolène Royal est de droite, cela mérite que l’on y réfléchisse.
C’est sur DailyMotion et c’est grâce à Daniel Schneidermann sur BigBangBlog
Maintenant, j’aimerais bien connaître l’avis de Pierre Bourdieu (mort en 2002 rappelons-le) relativement aux autres prétendants socialistes…
Pascal Broulis : deux poids, deux mesures
Qu’est-ce que je vous disais lundi après les résultats de l’initiative Cosa ?
Mais je ne pensais pas que la vergogne serait jettée aussi rapidement par notre ministre vaudois des finances.
En effet, dans des déclarations rapportées aujourd’hui par le journal le Temps, M. Broulis estime que les allègements au profit des actionnaires, qui pourraient s’élever à 50 millions pour le canton de Vaud, seraient « tout à fait absorbable » dans la planification financière du Canton. Une telle déclaration entre en contradiction grossière avec tout ce que M. Broulis a dit contre l’initiative Cosa qu’on accusait de coûter 58 millions au Canton. Entre le soutien aux actionnaires et celui aux rentiers AVS, le ministre des finances a déjà fait son choix.
Comme d’habitude, seules les promesses rendent les fous joyeux !
Peuple et populisme selon Umberto Eco (Le Figaro)
Le Figaro publie aujourd’hui un entretien réalisé avec Umberto Eco. A la manière des dictionnaires, j’ai repris certains de ses propos sous forme de définitions. A vous de lire et de comparer avec l’article du Figaro (Umberto Eco : « Nous payons toujours aujourd’hui l’effondrement de l’empire soviétique »).
Peuple : abus de langage désignant la totalité d’un pays dont on ne connaît la pensée que le jour des élections.
Populiste : Le populiste s’appuie non pas sur le peuple mais sur une projection idéale et fantasmée d’une assemblée gagnée à sa cause et dont la fonction principale est d’approuver son action.
Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et Silvio Berlusconi : J’entends bien souvent dire que Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal s’affronteront, lors de la prochaine présidentielle, davantage sur la virtuosité de leur communication que sur les rivalités programmatiques. Que l’exemple du Berlusconisme instruise les Français !
Peuple, média et démocratie : Auparavant, dans un monde sans médias, le peuple n’avait pas de contact avec ses dirigeants. Le peuple ne voyait guère son roi qu’une fois dans sa vie, quand au lendemain de son sacre il visitait ses provinces et guérissait les écrouelles. Mais dès lors que le politique a commencé à se montrer, il est devenu un acteur. Il devient très difficile pour un honnête homme politique de ne pas être lui-même une dupe du système.
Populisme : Aujourd’hui, les hommes politiques réservent la primeur de leurs déclarations à la télévision avant de s’adresser au Parlement qui leur permettrait pourtant d’étayer et d’argumenter leurs propositions. C’est le début du populisme.
Merci beaucoup M. Eco.
A méditer, non ?!
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L’échec de l’initiative COSA réjouit la droite, les banques et le patronat (24Heures)
Le titre de l’article de 24Heures [attention l’article ne restera que quelques jours en ligne] de ce matin relativement au refus en votation populaire de l’initiative COSA résume excellemment la situation.
Mais les votants le savaient-ils qu’ils favoriseraient ainsi les banques et le patronat?
Demain, ces mêmes votants pourraient se retrouver avec la gueule de bois devant les propositions des mêmes milieux qui ne manqueront pas de prôner qui la baisse des prestations, qui l’augmentation de l’âge de la retraite. Voire les deux…
Par contre, tant les banques que le patronat ne manquent déjà pas de demander une diminution de leur charge fiscale (c’est déjà en cours au Parlement !). Ces cadeaux fiscaux se répercuteront immédiatement sur les cantons. Or, ceux-ci que nous avons fort entendus sur COSA sont d’un silence assourdissant sur cette baisse programmée de leurs recettes fiscales. Etonnant non ?!