
Quoi de plus normal aussi que le ministre des communications et donc des technologies s’attache lui-même à mieux comprendre le phénomène de la communication à l’ère numérique.
Rien de surprenant que Moritz Leuenberger soit à l’aise dans ce domaine de la modernité urbaine, car notre ministre zurichois est en effet le plus urbain et contemporain de nos ministres. Ainsi, président de la Confédération, Moritz Leuenberger prononçait en 2001 un remarquable discours intitulé « Plaidoyer pour une Suisse urbaine » qui faisait ainsi enfin sortir notre pays de «Heidi Land» et de la philosophie du Réduit national.

Heidi Land
(Film Heidi 1952)
Pourtant, cette initiative de Moritz Leuenberger a donné lieu à une chronique fort critique de Jacques Allaman sur la RSR :
Mais l’initiative de Moritz Leuenberger est aussi dangereuse. Elle peut signifier la fin du politique.
Aujourd’hui, de très nombreux internautes revendiquent la citoyenneté de l’univers virtuel au détriment de l’Etat réel. Bientôt, les hommes et les femmes politiques ne seront plus que les pâles relais d’une société auto-organisée en réseaux. Dans ce contexte où le citoyen est le nouveau nomade d’un monde global, les notions de nationalité, d’entité, d’identité risquent de s’égarer dans les méandres de la toile. (Moritz Leuenberger ou le danger du blog en politique)
Bien sûr, à la lecture de ce billet, il est loisible de sentir quelque angoisse du côté des journalistes devant le développement d’une communication politique qui pourrait s’affranchir de l’intermédiaire des médias. Dernièrement, j’ai eu l’occasion de constater à de nombreuses reprises un certain blues de la part des journalistes devant l’irruption des nouvelles formes de communication et notamment des blogs. Les mutations sont en cours sans qu’il soit toujours possible pour eux d’identifier si les éditeurs de presse jouent de ce levier pour procéder à des restructurations internes ou s’il s’agit d’une mutation sociétale dans les habitudes de production et de consommation de l’information par le «vulgus pecum». Néanmoins, il convient pour la profession journalistique de s’interroger sur la manière pour eux de produire une information comportant une véritable plus-value tant par rapport aux agences de presse que des citoyens-blogueurs.
Sur un autre plan, les rapport sociaux réels se distendent et cette situation pose problème relativement au débat politique. Le citoyen-électeur se retrouve alors démuni lorsqu’il s’agit d’élire ses représentant-e-s dans les Parlements (y compris cantonaux, voire des grandes communes) et les Gouvernements. Dès lors, le choix des candidat-e-s par le citoyen-électeur s’effectue au travers principalement du prisme des médias. Au final, sont élus ceux qui ont un écho médiatique suffisant. Est-ce alors «juste» de confier aux médias la pré-sélection des candidat-e-s? Ou n’est-ce pas au bénéfice de la démocratie que les candidat-e-s soient en mesure de recréer au sein de réseaux en ligne les rapports sociaux distendus du monde réel?
Cependant, ce billet de Jacques Allaman a retenu mon attention au-delà de la question des mutations de la presse et du délitement des rapports sociaux réels. Il m’a interpellé indirectement sur les questions de la démocratie directe, du populisme et de la démocratie plébiscitaire. Comme indiqué ci-dessus, l’initiative de Moritz Leuenberger renouvelle l’image de proximité dont notre système politique est friand. Cette volonté de proximité est fortement liée à notre imagerie de la démocratie directe et à celle d’une mythologie nationale construite autour du serment du Grütli et de la Landsgemeinde. Nos dirigeants seraient le peuple ou tout au moins seraient directement en phase avec le peuple. Or, la Landsgemeinde et les trois communautés paysannes sont plus proches de «Braveheart» (sur l’histoire de William Wallace, noble écossais, et son clan) et d’une conception clanique de la politique que de la démocratie participative moderne, née avec la Révolution française.

Clan écossais et communautés montagnardes des Alpes suisses : même combat !
© Braveheart de Mel Gibson
Pourtant la dérive de la démocratie directe en direction de la démocratie plébiscitaire et le populisme est bien plus le fait de Christoph Blocher et de l’UDC que de Moritz Leuenberger. Ce sont eux qui jouent constamment sur le registre d’un contact direct du tribun ou du chef suprême avec le peuple -et non différence significative avec le citoyen. De plus, leur communication politique s’appuie elle sur la répercussion de leurs propos et de leurs démarches au travers de l’intercession des médias.
Il n’empêche que l’utilisation d’un moyen de communication reliant directement une femme ou un homme d’Etat avec la population et court-circuitant les nécessaires intermédiaires au débat politique que sont notamment les Parlements ne manque pas de poser des questions fondamentales relativement à la nature non seulement de la communication politique, mais du fonctionnement de la démocratie elle-même.
Autres papiers relatifs au blog de Moritz Leuenberger:
– Le blog de Moritz Leuenberger par François Brutsch (Un swissroll)
– Moritz Leuenberber fait oeuvre de pionnier en ouvrant un blog! par Christian Levrat
– Vous aimez ses discours fignolés? Vous apprécierez le blog distingué de Moritz Leuenberger par Yvette Jaggi (Domaine Public)
– Démocratie version 2.0 par Forum (RSR)
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