Zeev Sternhell (1935-….) est l’auteur de Ni droite Ni gauche, l’Idéologie fasciste en France, ouvrage qui a souvent été utilisé pour renvoyer dos à dos fascisme/nazisme et communisme. Il a suscité également la polémique en raison de sa thèse originale où il professe que « c’est dans la France des années 1885-1914 qu’il faut chercher les racines idéologiques du fascisme ».
Les extraits de l’entretien qui suit ont le mérite de replacer utilement ses travaux et sa thèse régulièrement déformée par des gens souhaitant jeter l’opprobre sur la gauche. Il pose également un regard sur l’actualité du fascisme et sur le rôle important et fondamental de la droite libérale dans la résistance au fascisme. A bon entendeur…

Vous considérez que le fascisme n’est pas une parenthèse de l’histoire qui n’appartiendrait qu’à l’entre-deux-guerres…
Je conçois le fascisme comme la forme extrême d’un phénomène idéologique et culturel qui se manifeste par la révolte contre l’héritage de la Révolution française, contre le matérialisme et le rationalisme , contre les principes du libéralisme et contre la conception utilitariste de la société et de l’Etat. […] Il est le fruit d’une rencontre [en France] entre le nationalisme intransigeant et la révision anti-matérialiste du marxisme qui se produit au cours des années 1885-1914.
[…]
Peut-on en déduire que le socialisme mène au fascisme comme on l’entend parfois dans certains milieux de droite?
Le socialisme ne mène pas au fascisme! En revanche, c’est par le biais d’une révision anti-matérialiste du marxisme que des socialistes démocrates, comme Marcel Déat en France et Henri de Man en Belgique, glissent vers le fascisme. […] Lorsqu’on considère, comme de Man, que les problèmes fondamentaux ne sont pas économiques, on peut commencer à glisser vers le fascisme.
Sommes-nous à l’abri de résurgences du fascisme en Europe?
Il n’y a pas de raison méthodologique de considérer que le fascisme soit mort en 1945. Une idéologie de rupture comme le fascisme a besoin d’une marge de manœuvre sociologique pour devenir une force politique. Cette marge de manœuvre n’est produite que par une situation de crise économique, politique et morale. On peut penser que la démocratie d’aujourd’hui est plus forte que celle du passé en raison d’une certaine expérience. Mais est-ce une garantie suffisante pour nous assurer que les institutions démocratiques ne s’écrouleront pas une deuxième fois? De plus, l’économie libérale ne garantit pas l’existence de la démocratie : le fascisme italien était porté par une économie libérale et les Nazis n’ont jamais nationalisé le système économique. Bien que l’Europe ne connaisse pas aujourd’hui les conditions économiques et sociales de l’entre-deux-guerres, le problème de l’émergence de partis d’extrême droite est réel. Je pense que la droite libérale détient la clef du problème. L’expérience nous a appris que la droite libérale a permis à Mussolini d’arriver au pouvoir et qu’elle n’a pas non plus empêché d’y accéder. Si elle ne refuse pas catégoriquement toute forme de collaboration avec les droites extrêmes, nous risquons d’être confrontés à d’énormes difficultés.
Propos recueillis par Nicolas ZOMERSZTAJN
Cet entretien a été une première fois publié dans la revue juive belge « Regards », Bruxelles, 2000.
Je ne prends le temps de lire ces quelques réponses que maintenant. Mais je trouve cela très intéressant et me donne envie d’en savoir plus sur l’approche de ce monsieur.
Je trouve particulièrement intéressant son constat sur la solidité qu’apparente du système démocratique actuel pour lutter contre le fascisme. Cela me fait penser aussi à plusieurs livres qui voient dans les probables crises climatiques à venir non pas des problèmes directs mais des problèmes indirect en cela qu’ils seraient source de conflits (accès à l’eau, etc.)
Cela me permet de te solliciter, chose que je souhaitais faire depuis un moment. Pourrais-tu me proposer quelques références d’ouvrage sur la genèse des guerres? Je suis particulièrement intéressé par les diverses conditions qui ont abouti à la seconde guerre mondiale mais aussi par d’éventuels ouvrages qui traitent de la question en général, qui traiteraient des éventuelles conditions globales qui ont pu aboutir à ce qu’un peuple accepte de tuer le peuple voisin.
Si jamais tu as des conseils… mais ce n’est pas urgent car ces jours, j’ai « à faire ».