«En Allemagne, le régime nazi avait créé un « délit de mode de vie »».
Qu’en était-il exactement? Le site de Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) est alors venu à mon secours. Le site présente la situation des personnes étiquetées par les nazi comme «asocial» (http://www.fndirp.asso.fr/nazis%20valeur%20inferieure.htm). Le contexte général d’abord:
«la population devait se sentir comme un bloc uni, un ensemble fortement soudé, la «communauté du peuple» (Volksgemeinschaft) au nom et au profit de laquelle le gouvernement de Hitler prétendait agir. Le terme «asocial» était vague, et permettait d’intégrer toute forme de comportement que les nazis réprouvaient. Mais un autre terme, «étranger à la communauté» (Gemeinschaftsfremd), qui fut très tôt employé comme presque synonyme d’asocial, ouvrait encore d’autres portes à l’exclusion, et cette fois avec des perspectives vers toutes sortes d’interprétations, entre autres raciales, mais bien entendu également politiques.»
Si la République de Weimar s’en prenait déjà aux «asociaux», l’arrivée au pouvoir de Hitler en modifiera considérablement les conditions
«Comment se débarrassait-on de ces catégories gênantes sous Weimar ? Les municipalités créaient des sites spéciaux où étaient regroupés ces marginaux, camps de travail, «maisons de travail», centres fermés peu différents de prisons dans certains cas, les pratiques étaient diverses, et le régime pouvait aller du supportable au franchement dur. Mais dès les premiers mois du régime nazi, les conditions devinrent de plus en plus sévères. Mendicité, vagabondage et prostitution furent poursuivis avec une ardeur nouvelle. Dès septembre 1933 on procéda à des razzias de mendiants dans un grand nombre de villes, les «maisons de travail», en général fort calmes jusque-là, furent rapidement surpeuplées, et de nouveaux lieux d’internement créés. Deux mois plus tard, une modification de la loi contre les «criminels récidivistes dangereux» rendait possible leur internement de longue durée.»
Puis, le dérapage systématique dans le traitement des marginaux se poursuivit rapidement avec leur assimilation à des malades congénitaux. Pour étendre encore le domaine de ces mesures, on inventa le diagnostic aberrant de «faiblesse d’esprit morale» (moralischer Schwachsinn), qui ne traduisait rien d’autre qu’un mode de vie inadapté. En 1938 (du 21 au 30 avril 1938), une grande rafle est organisée et livre près de 2 000 personnes à Buchenwald (camp de concentration).
Comme d’habitude pour les nazi, une définition juridique de l’asocial est établie en 1938 également:
«Est considéré comme asocial celui qui démontre par son comportement antisocial sinon criminel qu’il ne veut pas s’intégrer à la communauté.»
Comme l’indique la FNDIRP est, par exemple, définit comme asocial
a) la personne qui, par des violations minimes mais toujours répétées de la loi refuse de se plier à l’ordre évident pour un État national-socialiste (par exemple mendiants, vagabonds (tsiganes), prostituées, ivrognes, personnes atteintes de maladies, en particulier vénériennes, qui échappent aux mesures des autorités sanitaires) ;
b) la personne, qu’elle ait ou non déjà été condamnée, qui se soustrait à l’obligation de travailler et laisse le soin à la communauté de l’entretenir (par exemple fainéants, réfractaires au travail, alcooliques).
Si des points de vue politique ne doivent pas servir à classer une personne comme asociale, cet aspect-là demeure réservé à la Gestapo (détention de protection). En outre, La «détention de prévention» devenait une mesure de routine, d’autant plus simple d’emploi qu’elle ne nécessitait aucun appel aux services de justice, tout comme la «Détention de protection» (Schutzhaft) et la «séquestration de précaution» (Sicherungsverwahrung), ces réglementations laissant les mains libres aux services de police, dans l’arbitraire le plus complet.
Le système nazi mit aussi sur pied des camps de concentration pour mineurs dès 1940:
Pour les y interner, la Gestapo utilisait sans vergogne la «détention de protection» politique, quel que soit le motif. C’est ainsi que les termes les plus vagues et divers étaient employés : inéducable, asocial, contestataire, criminel, ayant rompu son contrat de travail, coupable de fainéantise, sabotage, refus du service dans la Jeunesse hitlérienne. Également internés Tsiganes ou «métis juifs», handicapés physiques ou mentaux, jeunes ayant été stérilisés comme asociaux, homosexuels, et aussi parfois des opposants, pour écoute de radios ennemies ou soupçon de résistance. Furent expédiés à Moringen également des jeunes hambourgeois amateurs de musique américaine de jazz, bien entendu interdite (Swing-Kids), ou des jeunes contestataires appartenant à la mouvance dite « Edelweisspiraten » en Rhénanie.
Toute référence directe ou indirecte à des initiatives populaires actuellement en cours ou futures —ainsi qu’à la philosophie qui les sous-tendent—est évidemment fortuite…
Stupéfiant et essentiel !
Merci de l’avoir écrit!
Me suis permise de romander ce billet.
Merci à toi et à Sugus, qui l’a signalé. Fondamental et ahurissant !
Il est très difficile de combattre des actions effectuées au nom de notions aussi floues qu' »associal » « étranger à la communauté », « ne s’intègre pas »… De quelle communauté nous parle-t-on? …
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C’est pourquoi l’histoire est souvent nécéssaire pour faire sentir quelques fumets nauséabonds à des nez qui ont tendance à devenir insensibles. Merci pour cette note. Je vais de ce pas acheter Courier international.
Malheureusement, la philosophie qui sous-tend la mise en oeuvre nazie est un peu en partie suisse non ?
Ca me rappelle ma thématique de DEA que je n’ai jamais terminé…
@ tous : merci pour vos commentaires, votre diffusion du billet 🙂
@ zozieau : pourrais-tu en dire un peu plus relativement à ta thématique de DEA et aux liens entre la suisse et l’oeuvre nazie que tu évoques (Dr. Auguste Forel, Dr Agassiz). Je penses que cela serait important. Peut-être via un billet sur ton site que nous répercuterions également? Qu’en penses-tu?